Synthèse du rapport The Economic Benefits of Investing in Child Health (Paolo C. Belli & Olivier Appaix). Les sources et l’intégralité du rapport sont disponibles ICI.
L’enfance est le moment au cours duquel les êtres humains se construisent afin de devenir des adultes épanouis et socialement intégrés. L’investissement dans la santé des enfants, outre les prémisses morales qui le justifient, est donc une décision économique éclairée que les gouvernements doivent prendre. Le lien entre la croissance économique et les dépenses de santé est souvent sous-estimé, ce qui conduit les gouvernements à ignorer les avantages économiques potentiels des investissements dans la santé des enfants. Cependant, l’argument économique ne devrait pas être la raison exclusive, ni même principale, de l’investissement dans la santé des enfants. La santé de l’enfant est avant tout un droit social affirmé dans les conventions internationales, en premier lieu la convention relative aux droits de l’enfant. Les gouvernements doivent ainsi, garantir que tous en bénéficient de manière égale, quelques soient les avantages ou les coûts économiques associés.
L’investissement dans la santé des enfants ne profite aux ménages que sur le long terme, ils ont donc tendance à être mal perçus et/ou sous-estimé par les adultes. Ce phénomène est particulièrement présent lorsque les individus présentent des vulnérabilités ou sont en situation d’extrême pauvreté qui s’explique du fait que les préoccupations immédiates de survie entravent la capacité des individus à envisager les avantages à long terme des actions quotidiennes. Dans certains cas également, les ménages méconnaissent les effets négatifs de leur comportement sur les enfants. A titre illustratif, l’importance des facteurs hygiéniques et environnementaux pour expliquer la morbidité et la mortalité infantile. En effet, l’OMS estime que 3 millions des décès d’enfants de moins de cinq ans sont dus à de mauvaises conditions environnementales, ce lourd tribut représente 40% de la charge totale de morbidité liées aux risques environnementaux alors que cette catégorie d’enfants ne représente qu’environ 10% de la population mondiale. Ainsi, il est évident que la sensibilisation et la promotion de la santé auprès des enfants est essentiel afin d’assurer leur bon développement.
1. La relation entre la santé et le développement économique
Il est admis depuis longtemps que la santé joue un rôle majeur dans le bien-être des peuples et des pays. Un grand nombre d’études ont tenté de documenter ce lien complexe mais certain entre la santé et le développement économique. Les premières études sur cette relation datent de 1980, depuis, une abondante littérature en macro-économie et en histoire économique a conclu que “la relation entre les variables d’amélioration de la santé et la croissance économique est suffisamment significative à long terme pour justifier un engagement national soutenu en faveur de l’investissement dans la santé” (OMS 1999a, p. 9).La littérature macroéconomique, principalement axée sur la santé des adultes, suggère que les deux principaux canaux par lesquels les améliorations de la santé ont un impact économique positif sont (1) l’augmentation de la productivité du travail et de la participation au travail et (2) l’augmentation de l’épargne et des investissements en capital humain et physique. Ces effets sont renforcés par les changements démographiques résultant de la réduction de la mortalité infantile. Ainsi, ces études ont montré que les niveaux de mortalité plus faibles et les niveaux d’espérance de vie plus élevés ont un effet statistiquement significatif sur les niveaux de revenus et les taux de croissance.
Par exemple, nous pouvons citer :
- En 2001, D.Mayer a réalisé des évaluations pour 18 pays d’Amérique Latine, en comparant les données de croissance économique avec la probabilité de survie de divers groupes d’âge sur 30 ans et a estimé qu’environ 40% de la croissance totale de ces pays entre 1950 et 1985 pourraient être expliqués par des améliorations de vie et développement.
- La Commission Macroéconomie et Santé de l’OMS a réexaminé la relation entre santé et croissance économique. Selon le rapport de 2001, sur la période 1990-1998, les pays avec un indice de développement humain élevé, ont connu une forte croissance économique solide et stable de 2,3% par an en moyenne et 35 des 36 pays ont vu leur niveau de vie augmenter.
Toutes ces études souffrent cependant d’un certain nombre de lacunes qui peuvent conduire à la conclusion erronée d’un lien direct de cause à effet entre l’amélioration de l’état de santé et la croissance économique au niveau global et individuel. En réalité, ce lien dépend d’un certain nombre d’autres variables. Néanmoins, une conclusion majeure de la littérature reste vraie : les pays dont les conditions sanitaires sont les plus faibles ont beaucoup plus de mal à atteindre une croissance soutenue que les pays avec de meilleures conditions sanitaires. A l’inverse, des études ont enquêté l’impact économique de conditions sanitaires spécifiques. A titre illustratif, une étude sur le paludisme souligne de nombreux aspects négatifs de la maladie sur le bien-être et les opportunités économiques d’un pays. Les pays touchés par la maladie entre 1965 et 1990 ont connu une croissance annuelle inferieure de 1,3% à celle des pays non touchés. Ainsi, les preuves montrent que des investissements réussis dans la santé créent une valeur économique supplémentaire et conséquente pour l’avenir.
2. La santé de l’enfant dans le cycle du développement
La définition de la « santé de l’enfant » est le « bien-être physique, mental et social et le bon développement de l’être humain depuis la conception jusqu’au bon développement de l’enfant ». Cela signifie également que tous facteurs qui affecte potentiellement ce développement, nuit à l’avenir harmonieux et prospère de l’enfant.
La santé de l’enfant commence même avant sa naissance. Les soins prénataux prodigués à la future mère et au futur enfant ont un impact important sur la santé de ce dernier. La prise en compte de la santé prénatale et périnatale permet ainsi de considérer la santé de la mère comme un déterminant de celle de l’enfant. Cet élément, énoncé par M. Claeson et R .J Waldman, met en exergue l’approche du cycle de vie, qui est un cadre qui tente de représenter les différentes étapes et périodes majeures du développement de l’être humain. Cette approche reflète qu’une part importante des décès d’enfants survient au cours des premières étapes très critiques de la vie : la période « néonatale » lors de laquelle les facteurs liés à la grossesse sont encore dominants pour expliquer la plupart de la morbidité et de la mortalité.
Estimation de la charge des maladies des enfants
- Les enfants souffrent de maladies évitables ou curables (diarrhée, rougeole, pneumonie, paludisme, malnutrition, prématurité…) qui représentaient environ 70% des 10,9 millions de décès annuels estimés chez les enfants de moins de 5 ans dans le monde.
- La majeure partie de la mortalité et de la morbidité touche les enfants vivant dans des pays en développement : 98% des décès entre la naissance et les 15 ans de l’enfant surviennent dans des pays à faible revenu ou revenu intermédiaire.
- Plus de 30% (53% en Afrique Sub-Saharienne) des décès dans le monde en développement surviennent chez des enfants de moins de 5 ans, alors que le pourcentage de décès dans ce groupe d’âge dans les pays industrialisé est négligeable.
- Les données empiriques montrent qu’après avoir enregistré un déclin marqué au cours des quatre décennies précédentes, la mortalité infantile stagne, depuis le début des années 90 dans plusieurs pays tels que l’Inde.
Identifier les déterminants de la mauvaise santé
Les faits montrent que la morbidité et la mortalité se concentrent sur les enfants vivant dans des conditions plus pauvres et marginalisées, et dans les pays les plus pauvres.
Les facteurs « sous-jacents ou socio-déterminants » :
- Le manque de revenus et d’autres moyens financiers
- L’absence d’accès aux services de santé et d’éducation
- L’absence d’infrastructure physique de base telles que des installations d’eau, d’hygiène et d’assainissement
- Un mauvais cadre écologique
Les facteurs socioculturels :
- Exclusion de l’éducation, même dans des ménages et des contextes relativement riches, parce que leur famille est socialement marginalisée en raison d’une appartenance ethnique
- Des normes culturelles spécifiques telles que le mariage et les croyances sur les causes des maladies
La plupart des pays à revenu élevé obtiennent de meilleurs résultats, avec des taux de mortalité d’enfants de moins de cinq ans égaux ou inférieurs à 1 %. Néanmoins, il n’en va pas de même pour les pays à faible revenu, en effet, jusqu’à 1 nouveau-né sur 10, voire 2 sur 10 dans les régions les plus pauvres d’un même pays, meurt avant d’atteindre l’âge de cinq ans, le plus souvent de maladies évitables ou curables. De surcroit, les décès proviennent au sein de familles à faible revenus.
Ainsi, les déterminants défavorables de la santé entrainent non seulement une mortalité plus élevée mais aussi une morbidité disproportionnée. Les premiers symptômes des déficiences peuvent être identifiés dès la naissance, avec des indicateurs clairs tels que les naissances prématurées, les anomalies congéniales et l’insuffisance pondérale. Les conséquences néfastes sur la santé se poursuivent aux stades ultérieurs de la vie, les enfants nés avec un état de santé déficient ont plus tendance à souffrir de maladies chroniques tout au long de leur vie. En effet, une étude menée au Etats-Unis montre que les enfants nés avec des défauts de santé majeurs ont une probabilité plus élevée de connaitre des problèmes de développement (7,2% contre 0,9% pour ceux nés sans).
Ainsi, ces causes mettent en avant que l’état de santé dépend de tous les investissements passés en matière de santé, en particulier ceux qui ont lieu pendant la petite enfance et qu’une mauvaise santé infantile est susceptible d’entraîner des effets négatifs durables sur la santé une fois adulte. De plus,les disparités en matière de santé entre les enfants de différents groupes socio-économiques ont tendance à se creuser avec le temps.
3. Conséquences secondaires de la maladie de l’enfant
Au-delà des conséquences primaires de la maladie (morbidité et mortalité), il existe également des effets secondaires :
- Faible développement cognitif et réussite scolaire : Une des premières conséquences secondaires est l’altération du développement intellectuel et cognitif des enfants. Cet effet aura pour conséquence une diminution de leur capacité à penser de façon créative, à être attentif, à comprendre et résoudre des problèmes, à mémoriser des informations et à exercer leur jugement. Cette situation est d’autant plus renforcée pour les enfants plus jeunes qui ont un fort potentiel d’amélioration rapide de leurs capacités cognitives. Cependant, dans le cas où ils sont exposés à des conditions de développement défavorables, ceci peut compromettre leur évolution future.
- Alteration de la socialisation : Incapable de participer pleinement aux activités sociales en raison de son état de santé, l’enfant est affaibli sur le plan social, intellectuel et émotionnel et sa participation l’ait aussi.
- Conséquences économiques à long terme des maladies de l’enfant : Ces déficiences et leurs conséquences réduisent le potentiel des individus durant l’adolescence et l’âge adulte, en affectant leur capacité à participer pleinement aux activités économiques et sociales. Ce qui entrave potentiellement par la suite, les possibilités pour l’adulte et sa famille d’améliorer leur statut économique. Les conséquences sont également démographiques, car des taux de morbidité et de mortalité élevés maintiennent la nécessité d’une fécondité élevée afin d’assurer un nombre minimum d’enfants et d’adultes survivants capables de maintenir la capacité productive du ménage. Et, un niveau élevé de mortalité et de morbidité infantile ne favorise pas un contexte propice à l’investissement dans le développement de l’enfant, du fait que la « valeur » de chaque enfant reste faible face à l’incertitude de son développement.
4. Corriger les troubles de la santé et du développement des enfants
Les gouvernements ont à leur disposition un vaste éventail de programmes de prévention et de traitement pour influer sur la santé des enfants, soit en ciblant directement les maladies soit en agissant sur les différents déterminants de la santé. Ces dernières années, des programmes intégrés ont été développés, qui ont pour but d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de soins de santé et d’influencer les comportements des ménages.
Deux de ces programmes sont :
- La prise en charge intégrée des maladies de l’enfance (PCIME) : Cette méthode exploite les synergies entre les interventions individuelles de prévention, de traitement et d’éducation contre les maladies de l’enfant
- La prise en charge intégrée de la grossesse et de l’accouchement (IMPAC) : L’objectif d’IMPAC est d’accroître l’accès des femmes enceintes à des services de santé de qualité, et de réduire ainsi la mortalité infantile et maternelle. Il porte sur les facteurs essentiels à l’accès à des soins qualifiés avant, pendant et après la grossesse et l’accouchement. Cet outil utilisé mondialement vise les systèmes de santé et les travailleurs de la santé, les familles et les communautés.
5. Avantages économiques potentiels de l’investissement dans la santé de l’enfant et leurs preuves
- L’amélioration dans les capacités cognitives, la participation et la présence à l’école : comme précédemment énoncé, la combinaison d’une mortalité et d’une comorbidité plus élevée entrave le développement cognitif des enfants et décourage l’investissement dans le capital humain. De nombreux ouvrages ont étudié l’impact de diverses interventions sanitaires sur les capacités cognitives et la participation scolaire des enfants, en se concentrant sur les pays les enfants des pays les plus pauvres où les maladies infectieuses sont endémiques. La littérature montre que les interventions efficaces ou prometteuses en prévention et promotion de la santé médicale et nutritionnelle peuvent contribuer à augmenter la fréquentation scolaire et, avec le temps, remédier aux déficits cognitifs, en particulier si elles sont accompagnées d’interventions éducatives ou de stimulation psychosociale chez les jeunes enfants.
- Bénéfices des changements démographiques induits : cela marque une réduction de la fécondité car il y a moins de crainte de ne pas voir les enfants grandir en bonne santé, un élargissement de l’intervalle entre les naissances, un ralentissement de la croissance démographique et une transition démographique avec des rapports de dépendance plus faibles
- Les économies dans les dépenses de santé et autres dépenses sociales, entrainant une réduction des couts des soins médicaux : Dans les pays en développement, les enfants malades sont moins susceptibles de recevoir un traitement médical formel que les enfants des pays industrialisés. Cependant, il a été constaté qu’un programme de prévention des maladies peut réduire les dépenses médicales futures. A titre illustratif, la campagne de vaccination dans l’Etat de Guerrero au Mexique a mis en exergue que le coût monétaire total de l’immunisation à 100% des enfants de moins de 5 ans contre la rougeole était inférieur au coût prévu pour faire face à une épidémie.
- Un réel impact économique des programmes de nutrition : La plupart des études disponibles établissant un lien entre les interventions en matière de santé infantile et leurs futurs avantages économiques se situent dans le domaine de la nutrition. A titre illustratif, une étude menée aux Philippines par P. Glewwe, H. Jacoby et E. King montre qu’une unité monétaire investie dans un programme nutritionnel pourrait rapporter environ trois unités de salaire supplémentaires grâce à l’amélioration des résultats scolaires.
- Augmentation de la propension des ménages à épargner et à investir pour les enfants : l’investissement dans la santé des enfants aura pour conséquence positive, une diminution de la morbidité et une mortalité ce qui incitera les ménages à investir pour et dans leurs enfants. De ce fait, les investissements dans la santé des enfants s’avéreront bénéfiques pour l’économie et le développement économique à moyen et long terme, et les effets économiques positifs renforceront ensuite l’amélioration des résultats en matière de santé des adultes et des enfants, grâce à de meilleures conditions de vie, un meilleur accès aux soins, une baisse de la fécondité, etc.
La conclusion de la relation entre la santé des enfants et l’économie est que l’investissement dans la santé de l’enfant est un investissement économique précieux. Les études ont mis en exergue que des investissements plus importants dans la santé notamment une attention constante et suffisante en termes de soins de santé de l’enfant se traduisaient par des adultes mieux éduqués et plus productifs. Cependant, les données empiriques mondiales ont mis en avant le fait que des millions d’enfants meurent chaque année de malades largement évitables, ce qui entraîne des coûts économiques importants en termes de fécondité excessive et d’investissements insuffisants dans le capital humain. Ainsi, afin d’enrayer ces inégalités de développement, il est nécessaire d’agir sur les déterminismes et les conséquences de la mauvaise santé des enfants notamment dans les pays les plus pauvres et parmi les segments les plus pauvres de la population de ces pays qui souffrent d’une concentration de la mortalité et morbidité infantiles.