Joining Forces est une alliance composée de six ONG internationales engagées pour la réalisation des droits des enfants. En janvier 2021, le collectif a produit une note de briefing afin de mettre en lumière la situation du droit des enfants à être entendus dans le monde et appeler à une meilleure prise en compte de ce droit au travers de propositions concrètes. Pour élaborer ce document, Joining Forces a recueilli les contributions et réflexions d’enfants du monde entier, à l’oral, à l’écrit et lors d’un forum en ligne organisé le 20 novembre 2020 à l’occasion de la Journée Internationale des Droits de l’Enfant.

Une réalisation encore incomplète du droit des enfants à être entendus

Être entendu est en effet le droit fondamental de tous les enfants, consacré par l’article 12 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) : « Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ». D’autres textes sont venus renforcer ce droit, tels que le protocole facultatif de 2014 qui permet aux enfants de soumettre une plainte individuelle au Comité des Droits de l’Enfant (CDE) et l’Observation générale n°20 du CDE (2016) qui appelle les Etats à veiller à ce que les adolescents participent à l’élaboration, à la mise en œuvre et au suivi de l’ensemble des lois et politiques qui affectent leur vie. Dans un autre cadre que la CIDE, l’Agenda 2030 reconnaît les enfants comme des agents du changement et réitère l’importance de leur participation au développement durable.

Depuis l’adoption de la CIDE en 1989 et sa très large ratification par les Etats, on constate une avancée significative de la réalisation du droit des enfants à être entendus. Les décideurs sont en effet de plus en plus conscients de la valeur de la participation des enfants et s’efforcent de la prendre en compte davantage. Cela se manifeste par la création de plateformes stratégiques, comme les parlements pour enfants désormais présents dans de nombreux pays, et le nombre croissant de réunions internationales de haut niveau auxquelles les enfants peuvent participer (World We Want Forum, Groupe Majeur des Nations Unies pour les Enfants et les Jeunes…). De plus, les enfants se font de plus en plus entendre dans les débats publics. En témoigne leur rôle prédominant dans certaines campagnes, comme celles contre le mariage des enfants au Sierra Leone ou contre les violences armées aux Etats-Unis. Enfin, l’augmentation de l’enregistrement des naissances des enfants de moins de cinq ans d’environ 20 % ces dix dernières années, marque un renforcement significatif du droit à une identité dont est largement tributaire le droit à la participation.

Cependant, de nombreux obstacles empêchent encore la pleine réalisation du droit des enfants à être entendus. Ce droit souffre par exemple d’une reconnaissance insuffisante dans les lois nationales, auquel s’ajoute le manque d’accès des enfants à la justice pour contester les violations de leurs droits et les nombreuses barrières légales et administratives qui entravent les organisations dirigées par des enfants. En outre, la plupart des adultes ne disposent toujours pas des compétences nécessaires pour faciliter la participation des enfants de façon sûre et qualitative, et nombre d’entre eux considèrent les enfants comme trop incompétents, inexpérimentés ou immatures pour participer.

Les enfants eux-mêmes, lors du forum sur la participation de novembre 2020, ont cité parmi les principaux obstacles à la participation : les troubles politiques, le fait que les adultes voient la participation des enfants comme une formalité ou s’attribuent le mérite des activités qu’ils proposent, le manque d’accès à l’éducation, le manque d’initiatives des adolescents, le travail des enfants, le manque de moyens des parents, le manque d’accès à internet. Ils ont souligné l’importance des obstacles liés au genre : grossesse précoce, restrictions pour les filles de leurs horaires, de leurs déplacements, de leurs habits, éducation des filles les incitant à se taire et écouter, etc.

La voix des enfants : une réelle plus-value

Un enfant sur deux estime que les adultes n’écoutent pas les opinions des enfants sur les sujets qui les concernent. Or ce non-respect d’un droit fondamental constitue une perte considérable. Les enfants disposent en effet de capacités qui leurs sont propres et sont une richesse pour les décideurs et pour la société dans son ensemble. “Being young is a competence,” affirme ainsi Kate Gilmore, députée du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme. Être jeune c’est notamment être doué d’une capacité d’adaptation, d’une énergie, d’une pertinence et d’une sensibilité à la technologie particulière, dont peut bénéficier la conception des programmes et des politiques. De plus, les enfants sont les mieux placés pour comprendre les problèmes qui les impactent et donc pour imaginer des solutions adaptées pour y faire face. De fait, l’expérience montre que lorsque les enfants ont l’opportunité de s’exprimer, ils sont capables de s’en servir pour leur propre protection et pour favoriser des structures sociales et des institutions plus inclusives et responsables. Au Bangladesh par exemple, des enfants de 12 à 17 ans ont travaillé dans des forums d’enfants pour agir et mobiliser du soutien pour les enfants à risque d’être mariés. Leur action collective à empêcher 72 mariages en 2 ans.

La participation contribue également à accroitre le bien-être et le bon développement des enfants. Elle peut les aider à prendre confiance en eux, à développer leurs connaissances et leurs compétences, à réduire leur vulnérabilité et améliorer leur capacité à se protéger et à surmonter les difficultés. Cet empowerment peut conduire à de véritables changements dans les dynamiques de pouvoir délétères.

Ecouter les enfants : des opportunités d’action émergentes

Ecouter les enfants de façon significative

Pour que la participation des enfants soit réellement qualitative et conduise à des changements systémiques, il faut qu’elle se fasse dans un cadre qui facilite l’empowerment des enfants. L’Observation générale n°12 du Comité des Droits de l’Enfants met ainsi en avant neuf critères auxquels doivent répondre les processus de participation des enfants pour garantir leur qualité[4]. Ils doivent être : transparents et inclusifs ; volontaires ; respectueux ; pertinents ; adaptés aux enfants ; inclusifs ; sûrs et tenants compte des risques ; responsables. Les processus de participation doivent aussi prendre en comptel’âge et la maturité des enfants et s’adapter au type d’engagement : identification et mise en œuvre de solutions, éducation et mobilisation des pairs, apport d’une voix collective et de preuves.

Aujourd’hui la plupart des programmes de participation ne remplissent pas ces critères. Cela s’explique notamment par un investissement limité dans le renforcement de la capacité des enfants à comprendre leurs droits et ce qu’ils doivent attendre des adultes et par un manque de formation des adultes à la facilitation de la participation des enfants.

Ecouter les enfants les plus marginalisés

Ces obstacles à la participation sont d’autant plus importants pour les enfants désavantagés ou marginalisés. Les processus de participation ne sont souvent pas adaptés aux enfants en situation de handicap par exemple : ils ne proposent pas d’accès au langage des signes, aux aides audios ou autres équipements nécessaires. Ils peuvent également nuire aux filles en ne prenant pas en compte l’ostracisme social dont elles peuvent souffrir dans de nombreuses régions lorsqu’elles s’emparent visiblement d’un rôle de pouvoir. De même, les enfants autochtones, les enfants vivants dans des zones rurales ou en conflit, les enfants privés de soins parentaux et les enfants ayant un statut économique, migratoire ou social différent, se voient plus encore que les autres privés de leur droit à la participation.

Or il semble particulièrement important de prendre en compte la parole et les préoccupations de ces enfants, car ils ont une compréhension unique des problèmes auxquels ils sont confrontés et sont donc les mieux placés pour concevoir des solutions. De surcroit, le manque de données désagrégées sur leurs besoins et les enjeux qui les concernent rend leurs opinions d’autant plus précieuses pour les décideurs. Enfin, rassembler les enfants marginalisés et non-marginalisés au sein d’instances de participation adaptées à toutes et tous permettrait d’inverser les dynamiques de pouvoir et de normes et que tous les enfants soient pleinement intégrés à la société.

Ecouter les enfants dans l’ère du numérique

L’entrée dans l’ère digitale offre de nouvelles opportunités pour la participation. Les nouvelles technologies peuvent par exemple permettre des études à grande échelle, comme l’enquête #COVIDUnder19 qui a recueilli la participation de plus de 26 000 enfants de 137 pays à travers le monde[5]. Elles fournissent également des plateformes pour mobiliser plus largement et s’organiser sans la médiation des adultes. Les réseaux sociaux et internet ont ainsi permis aux grèves pour le climat, initiées par l’adolescente norvégienne Greta Thunberg, d’être connues et suivies par des milliers de jeunes partout dans le monde.

Toutefois, ces technologies entrainent de nouveaux risques, comme le harcèlement en ligne, l’exploitation, les abus sexuels ou encore le non-respect de la vie privée. En effet, peu de pays offrent une protection du droit des enfants au respect de la vie privée, ce qui crée un risque de surveillance par l’Etat, les parents ou d’autres acteurs. En outre, des études pointent les effets négatifs de l’utilisation des nouvelles technologies sur la santé mentale.

A cela s’ajoute la fracture numérique qui souvent se superpose à d’autres inégalités économiques ou sociales. Elle crée de fortes disparités entre les enfants qui ont accès à des espaces pour s’exprimer et être entendus et ceux qui n’y ont pas accès. Pendant la pandémie du covid-19, l’inégal accès à internet a ainsi eu des répercussions massives sur la participation mais aussi sur l’accès aux soins, à l’éducation et à d’autres besoins de bases des enfants. Si des efforts sont faits pour réduire les risques liés à la technologie, ils demeurent nettement insuffisants.

Appel à l’action : réaliser le droit des enfants à être entendus

Face à ces constats, Joining Forces appelle tous les gouvernements à prendre les mesures suivantes :

  • Renforcer les systèmes permettant une participation sûre et significative des enfants aux questions qui affectent leur vie.
  • Adopter et mettre en œuvre des lois et des politiques qui nécessitent une large consultation des enfants
  • Ratifier le protocole facultatif de la CIDE qui donne le droit aux enfants de déposer des plaintes pour violation de leurs droits fondamentaux auprès du Comité des Droits de l’Enfant
  • Supprimer les obstacles à la participation des enfants en modifiant les lois, en transformant les environnements et les institutions publics pour les rendre plus respectueux et réceptifs à l’activité civique des enfants.
  • Élaborer des mesures préventives et adopter des lois et des politiques visant à protéger les enfants contre les abus en ligne

Plus largement, le collectif appelle les gouvernements, mais aussi les organisations multilatérales, les organisations de la société civile, du secteur privé et les autres acteurs compétents à :

  • Créer des espaces et des plateformes, qui permettent aux enfants d’interagir avec les décideurs et leurs pairs pour influencer les décisions d’une manière sûre, accessible et adaptée à leur âge.
  • Renforcer la capacité des enfants à acquérir les compétences, les connaissances, les capacités de leadership et la confiance nécessaires pour partager leurs points de vue.
  • Renforcer la sensibilisation, les compétences et les capacités des adultes à soutenir la participation des enfants
  • Soutenir les changements de culture et de valeurs pour aider à éliminer les barrières socioculturelles et politiques qui entravent la participation des enfants.
  • Faciliter l’accès des enfants aux informations nécessaires et adaptées à leur âge.
  • Fournir des ressources financières aux organisations et aux groupes travaillant sur ces efforts et créant des budgets avec des postes pour l’engagement des enfants.
  • Inclure les enfants dans les processus de réponse aux enjeux mondiaux les plus urgents : changement climatique, covid-19, violences envers les enfants.
  • Développer un cadre universel pour mesurer les progrès vers la réalisation du droit des enfants à être entendu

Pour en savoir plus : lire le rapport complet

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