L’Alliance internationale Save the Children est un réseau de 26 organisations présentes dans plus de 111 pays. Son objectif est de mobiliser des politiques communes et de mettre en œuvre des projets communs afin d’améliorer les conditions de vie des enfants dans le monde. En 2006, Save The Children publie la deuxième édition du manuel sur l’application de la programmation basée sur les droits des enfants. Ce manuel illustre et explique les avancées majeures de l’approche basée sur les droits de l’enfant (ABDE) sur certains secteurs spécifiques. Il devient alors un réel appui dans l’opérationnalisation de ces principes.

Le cadre des droits humains

L’aide au développement basée sur les droits envisage la réalisation des droits humains pour chaque individu comme l’objectif final du développement et l’effectivité des principes liés à ces droits comme le vecteur de changements durables.

Bien que d’autres traités relatifs aux droits humains mentionnent la nature spécifique de l’enfance, il était nécessaire d’adopter une convention distincte et consacrée aux enfants. Ainsi, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CIDE), adoptée en 1989, se place au cœur du travail de Save The Children. Il s’agit du traité le plus largement ratifié de l’Histoire (196 Etats parties) et le plus complet en ce qu’il couvre l’ensemble des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des enfants. Depuis son adoption, la CIDE a été complétée par deux Protocoles Facultatifs en l’an 2000 (l’implication des enfants dans les conflits armés ; la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants), et un préambule précisant la prise en compte du contexte culturel de chaque peuple. Après la publication de ce manuel en 2006, un troisième protocole facultatif relatif aux procédures de plainte pour les violations des droits de l’enfant à été adopté par l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2011. 

Par ailleurs, le Comité des Droits de l’Enfant, organisme suivant l’application de la CIDE par les Etats, a extrait quatre principes fondamentaux parmi les 54 articles de la Convention : la non-discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit à la vie, la survie et au développement et la participation constituant l’approche par les droits de l’enfant (ABDE). Une ABDE est un cadre conceptuel et opérationnel fondé sur les besoins qui met l’accent sur l’implication des détenteurs de droits et l’accès à leurs droits fondamentaux.

Approches basées sur les droits et programmation basée sur les droits de l’enfant

  • Approches basées sur les droits

Les approches basées sur les droits diffèrent des aides internationales au développement dites « classiques » en ce qu’elles sont animées par l’impératif de donner effet aux droits des individus.

Ainsi ce nouveau biais de perception du développement tient les personnes au pouvoir et les institutions comme comptables de leurs engagements. Il s’agit ici d’assurer un soutien aux titulaires de droits et d’ancrer la durabilité des programmes s’attaquant aux violations de ces droits afin d’impulser et d’inscrire des changements dans les politiques et pratiques dans l’avenir. Une approche basée sur les droits constitue un ensemble d’actions et une mise en œuvre intégrale :

Tableaux extraits du Manuel sur l’application de la programmation basée sur les droits de l’enfant – Save The Children

  • La programmation basée sur les droits de l’enfant

La programmation basée sur les droits de l’enfant constitue un cadre qui prend appui sur les 4 principes fondamentaux de la CIDE qui sont interdépendants et qui peuvent être pris en compte dans le cadre d’une programmation et à toutes étapes du cycle. L’intérêt d’adopter une approche basée sur les droits de l’enfant dans la réalisation de programmes, projets, activités d’aide humanitaire et de développement est la prise en compte des besoins et vulnérabilités spécifiques aux enfants qui, à certains égards, peuvent différer des adultes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il existe une convention spécialement consacrée aux droits des enfants.

La programmation basée sur les droits de l’enfant rassemble un éventail d’idées et de concepts s’appuyant sur les normes (relatifs aux droits de l’enfant, au développement de l’enfant, aux réponses aux urgences et au travail de développement) ainsi que sur les bonnes pratiques et leçons apprises dans le travail d’aide humanitaire et d’aide au développement :
  • Mettre l’accent sur les enfants, leurs droits et leurs rôles en tant qu’acteurs sociaux
  • Avoir une vue holistique de l’enfance : une prise en compte de l’enfance dans tous ses aspects lors des choix stratégiques et de la prise de décisions
  • Responsabilité de promouvoir, protéger et réaliser les droits de l’enfant : les acteurs responsables sont l’Etat (gouvernement central et local), le secteur privé, les médias, les professionnels de l’enfance, etc.
  • Soutenir les acteurs responsables: anticiper les moyens de les aider à remplir leurs obligations (assistance technique, renforcement du budget, partenariat)
  • Plaidoyer : campagne de sensibilisation et d’éducation  pour une meilleure prise de conscience du public et des acteurs responsables par rapport à leurs devoirs
  • Participation : encourager l’effectivité de la participation des enfants, notamment dans la programmation
  • Non-discrimination : lutte contre la discrimination basée sur le sexe, la classe sociale, l’ethnicité, le handicap, la capacité de la personne et inclusion des enfants les plus marginalisés
  • L’intérêt supérieur de l’enfant : évaluer l’impact des décisions programmatiques sur les enfants
  • Survie immédiate des enfants et développement de leur potentiel : faire de ces éléments la priorité
  • Les enfants comme membres d’une communauté : une compréhension de la place occupée par les enfants au sein de leur famille, communauté et société ainsi que le rôle joué par leurs parents, proches et tuteurs
  • Racines des problèmes et intégration des questions dans un cadre beaucoup plus large : mettre l’accent sur les causes sous-jacentes et sur les violations immédiates.
  • Partenariat : renforcer les alliances pour la promotion, protection et réalisation des droits de l’enfant.
  • Information et connaissance : faciliter l’accès à l’information et s’assurer de la bonne compréhension des questions et problématiques soulevées par droits de l’enfant par les enfants eux-mêmes, la communauté et les acteurs responsables

Application des principes

Les quatre principes fondamentaux de la CIDE mentionnés précédemment sont souvent représentés sous forme triangulaire du fait de leur interconnexion dans la pratique : chaque principe soutient et renforce l’autre. Par ailleurs, s’il est relativement aisé d’intégrer l’aspect théorique de ces principes, leur application peut paraître souvent floue et complexe, d’où des précisions apportées par le manuel :

  • La non-discrimination : La CIDE vise à réduire la discrimination dans trois domaines : la discrimination des enfants en tant qu’individus, la discrimination contre des groupes spécifiques d’enfants (par exemple les enfants porteurs d’handicap), la discrimination envers un groupe de la population (mettre fin aux pratiques visant à faire subir aux enfants des traitements beaucoup plus sévères qu’aux adultes). Ce principe suppose une réflexion et une analyse sérieuse de tous les acteurs (gouvernements, organisations de la société civile et secteur privé) afin de développer des programmes et politiques non discriminant et répondant aux besoins spécifiques de chacun. Les questions liées à la non discrimination doivent être explicitement abordées dans tous les aspects du cycle de programmation et une attention particulière doit être portée aux enfants les plus marginalisés. Le principe de la non discrimination est un défi pour tous qui implique un travail de remise en compte des préjugés, pratiques institutionnelles et opinions qui viennent souvent justifier les inégalités entre des groupes de personnes.

  • L’intérêt supérieur de l’enfant : Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant adopte une approche holistique qui considère l’enfant comme un tout et qui doit donc prendre en compte tout les aspects de sa vie, ainsi que son opinion. Chaque décision prise affecte de manière directe ou indirecte la vie de l’enfant, il faut donc en évaluer les conséquences pour viser la réalisation complète de ses droits. En ce sens, l’intérêt des parents, de la communauté ou de l’Etat ne doivent pas être une préoccupation dominante bien qu’ils aient une influence sur la décision finale, et les trois autres principes fondamentaux doivent être pris en compte simultanément. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être spécifiquement pris en compte dans tous les aspects du cycle de programmation. Tous les acteurs œuvrant pour les enfants doivent également faire du principe de l’intérêt supérieur une considération primordiale.

  • La participation : La CIDE est le premier traité relatif aux droits humains venant affirmer les enfants en tant que détenteurs de droits civils. Chaque enfant a le droit d’être informé, d’avoir l’opportunité d’exprimer ses opinions et que celles-ci soient entendues dans les décisions qui les concernent, et ce, à toutes les échelles (famille, école, institutions de soins, orphelinats, médias, communauté) et à tous les niveaux (national et international). De plus, une corrélation a pu être observée entre l’atteinte au droit à la participation et l’atteinte aux autres droits tels que le droit à la vie, à la santé, à l’éducation ou à la protection. La participation est un processus qui sous-entend respect et confiance mutuels entre enfants et adultes ainsi qu’une meilleure compréhension des conditions de vie des enfants. L’opinion des enfants ainsi que leur implication doivent être prises en compte dans tous les aspects du cycle de programmation et par tous les acteurs responsables.

  • La survie et le développement : Il s’agit d’un droit fondamental. L’enfant a un droit inhérent à la vie et l’Etat doit assurer du mieux possible sa survie et son développement afin de contribuer à une société pacifique et tolérante. En effet, le développement de l’enfant couvre un ensemble d’aspects (physique, mental, culturel, spirituel, moral et social) tendant à construire un environnement protecteur et stimulant. Il est doit donc être pris en compte aux différentes étapes du cycle de la programmation et par tous les acteurs responsables.

En adhérant à la CIDE, les pays se sont engagés à la fois auprès des enfants, de toutes les populations vivant au sein de leurs frontières, mais aussi de la communauté internationale. De ce fait, l’Etat devient un acteur responsable qui se doit d’adapter la législation, les politiques et pratiques relatives à la réalisation de tous les droits de l’enfant, une réalisation qui s’accompagne d’une allocation de ressources également.  En effet, afin que les titulaires de droits puissent jouir de leurs droits, il est primordial que les acteurs responsables respectent leurs engagements. De plus, les titulaires de droits doivent être conscients de leurs droits et se sentir libres de les revendiquer.

  • Les obligations des Etats : respecter les droits des personnes, les protéger, les facilite et les fournir aux personnes
  • Les acteurs responsables : intervenants secondaires contribuant aux changements et soutenus ou sollicités par l’Etat pour aider à renforcer les droits de l’enfant (normes pour l’aider à l’enfance, lois sur le travail des enfants, législation sur l’âge du mariage, etc).

Le cycle de programmation basé sur les droits de l’enfant

Aborder un programme par une approche basée sur les droits de l’enfant suppose l’intégration des ses principes à chaque phase du cycle ainsi qu’une analyse et une évaluation approfondies de la situation sous ce prisme et un réexamen de l’analyse de situation initiale. Chaque phase du cycle de programmation affecte les phases précédentes et suivantes, et comme les principes de la programmation basée sur les droits de l’enfant, elles sont interdépendantes.

Une utilisation de l’ABDE au sein de la programmation assure des évolutions durables dans la vie des enfants. Save The Children a développé un modèle conceptuel, connu sous le nom de « Modèle des Trois Piliers », permettant une analyse stratégique des programmes à partir d’une ABDE. Cet outil donne un aperçu général du programme, fait réfléchir sur les connexions, ses combinaisons et met l’accent et encourage l’application systématique de la programmation basée sur les droits de l’enfant. Tous les programmes adoptant cette approche devraient contenir un ensemble d’activités :

  • Actions directes sur les manquements et les violations des droits : par exemple, la distribution d’aide alimentaire, la réunification d’enfants séparés ;
  • Renforcement des structures et des mécanismes : par exemple, développer la législation, renforcer les institutions ;
  • Renforcement des capacités des communautés et de la société civile pour soutenir les droits de l’enfant : par exemple, la mise en place de coalitions des droits de l’enfant, la mobilisation de club de jeunes.

Grâce à une analyse de la situation par une ABDE et une compréhension des forces et faiblesses internes à l’organisation, cet outil permet d’orienter et revoir les décisions stratégiques en combinant les réponses immédiates et un impact continu et maximum en utilisant toutes les ressources temporaires. Une analyse de la situation des droits  de l’enfant doit :

  • prendre en compte les quatre principes fondamentaux,
  • mettre l’accent sur les violations des droits et l’origine de leurs causes, les acteurs responsables et leurs obligations, sur le cadre légal normatif de la CIDE
  • rechercher et intégrer le point de vue des enfants

Le travail de suivi, d’évaluation et d’analyse d’impact est essentiel à l’amélioration constant des actions et des programmes menés par les ONGs. Par ailleurs, ce travail peut être un moyen, pour les organisations œuvrant pour l’aide humanitaire et le développement, de partager les bonnes pratiques, d’apprendre et de se responsabiliser.

Devenir une organisation axée sur les droits de l’enfant

Devenir une organisation basée sur les droits de l’enfant implique un réel changement organisationnel qu’il s’agisse d’une réforme menée sur le « terrain » ou depuis le siège social : respecter et démontrer dans la pratique les principes de l’ABDE. En effet, ce nouveau type de programmation invite tous les membres de l’organisation, y compris les cadres dirigeants qui jouent un rôle clé dans la conduite du processus de changement, à :

  • Evaluer et réexaminer les décisions pris lors du programme ;
  • Veiller à une prise en compte par les différents acteurs du programme, dans l’exercice de leurs fonctions de la responsabilité, la non-discrimination, la dignité, le respect et la justice, la participation et l’appropriation ;
  • Considérer l’intérêt supérieur de l’enfant et la protection des enfants, prendre conscience de sa responsabilité envers les enfants et assurer la participation des enfants dans les structures de prises de décision de l’organisation
L’application des valeurs et des principes de l’ABDE aux procédure organisationnelles impliquent de meilleures pratiques de gestion :
  • La non-discrimination : elle entraîne une prise en compte des questions de diversité dans les politiques et procédures de recrutement ainsi que dans l’accès à l’information
  • La dignité, le respect et la justice : cela implique une mise en application de normes de qualité élevées dans l’organisation de la justice ainsi que des mesures de sécurité et santé (codes de conduite, représentation du personnel, prises de décision transparentes et consultatives, etc)
  • La responsabilité : partagée entre l’organisation et l’employé : l’organisation est responsable de ses performances et de ses actions, tout comme l’employé individuel détient des responsables en rapport avec sa relation au travail. Tous deux ont des droits à revendiquer et à respecter ainsi que des devoirs à remplir.
  • La participation et l’appropriation : s’assurer d’une participation effective au sein de l’organisation et faciliter l’appropriation par le personnel implique une meilleure productivité de l’employé, la créativité et la motivation.
  • L’intérêt supérieur de l’enfant : les intérêts et les droits de l’enfant doivent être la considération principal dans la prise de décisions. Des mécanismes d’impacts, positifs et négatifs, doivent être mis en place.
  • La participation des enfants et la responsabilité en vers les enfants : Dans le cadre des pratiques de travail, intégrer une ABDE signifie explorer les possibilités de l’implication des enfants dans tous les domaines de l’organisation afin d’améliorer la transparence et la responsabilité vis-à-vis des enfants. Par ailleurs, au-delà des responsabilités légales (dans son rôle professionnel), l’organisation doit s’efforcer d’être responsable envers les enfants, leurs familles et leurs communautés.

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